MINORITÉS EN FRANCE (HISTOIRE DES)

MINORITÉS EN FRANCE (HISTOIRE DES)
MINORITÉS EN FRANCE (HISTOIRE DES)

La France compte, pour le moins, sept populations minoritaires, si l’on ne tient compte que des personnes qui parlent effectivement telle langue régionale; celles-ci se répartissent, dans les années 1980, à peu près de la manière suivante: 150 000 Corses; 200 000 Catalans, dans le nord du Roussillon ; entre 80 000 et 150 000 Basques; un million de bretonnants; entre 20 000 et 50 000 Flamands; plus d’un million et demi de personnes parlant les dialectes germaniques d’Alsace-Lorraine; enfin, plus de deux millions d’«Occitans», c’est-à-dire de personnes pratiquant l’une des nombreuses versions de l’occitan et du gascon. Au maximum, donc, cinq millions d’âmes, soit un dixième de la population de la France, parlent l’une des langues minoritaires reconnues, et sont concernées par les problèmes spécifiques des minorités. Mais, bien sûr, le nombre de ceux qui, purement francophones, peuvent éventuellement se réclamer d’une appartenance ethnique occitane, bretonne... est nettement plus élevé.

Tentons donc une évaluation rapide, au moyen d’un «tour de cadran» de l’Hexagone, ou de ses marges...

Corses, Basques, Catalans

Incorporée à la France en 1768, la Corse du XXe siècle est confrontée à un sévère problème d’identité. Malgré les tentations mussoliniennes, une grande partie de sa population a été, pendant longtemps, passionnément anti-italienne, maudissant, en particulier, les liens passés avec Gênes et Pise à cause des souvenirs «colonialistes» qu’auraient légués les deux villes. Depuis les années soixante, cependant, une minorité agissante (la majorité, elle, montre aux élections nationales qu’elle accepte la forme locale de l’État actuel, même si elle ne la tient pas pour parfaite) manifeste des sentiments autonomistes et quelquefois séparatistes, qui se sont développés, plutôt qu’apaisés, à la faveur de l’essor économique des années cinquante à soixante-dix; ils se sont exacerbés notamment lors de l’installation des pieds-noirs dans la plaine orientale: à coups de slogans (les Français dehors: I Francesi fora , ou I.F.F.) et de bombes, certains réclament âprement l’autonomie, voire l’indépendance totale. Mais que deviendrait la Corse si ces désirs devenaient réalité? Mélange d’archaïsme (culte d’une virilité parfois violente, sens suraigu de l’honneur, contrôle vigilant de la famille sur ses membres) et de modernisme (abandon des secteurs primaire et secondaire au profit du tertiaire), la culture proprement corse, qui n’a à son actif que peu de créations littéraires et artistiques, serait-elle capable de combler le vide consécutif à la désitalianisation et à la défrancisation? Le problème serait en tout cas d’éviter qu’un éventuel statut d’autonomie interne débouche rapidement, par surenchère, sur une indépendance vide de sens et propice, en fin de compte, aux intrigues que ne manqueraient pas de mener diverses puissances situées sur les rivages de la Méditerranée et même au-delà.

Les problèmes basque et catalan se posent en France d’une manière beaucoup moins vive qu’en Espagne, où ces minorités sont en lutte à la fois contre l’État et contre la prédominance castillane. Certes, la question linguistique catalane est réelle dans les villes du Roussillon, mais le nationalisme régional y prend des formes bien moins spectaculaires qu’au sud des Pyrénées. Les mêmes remarques valent pour le phénomène basque. Descendants de populations néolithiques puis protométalliques, qui furent submergées ou assimilées partout ailleurs par les Indo-Européens (Celtes puis Gallo-Romains), les Basques s’expriment dans une langue venant directement des parlers protohistoriques des Ibères: elle était jadis pratiquée dans l’ensemble des Pyrénées, du nord de l’Espagne au sud de la France ; elle a disparu des Pyrénées de l’Est devant l’offensive du latin, après la chute de l’Empire romain; il serait déplorable qu’elle cesse un jour d’être une langue vivante. Sur le plan politique, il faut noter que le terrorisme de l’E.T.A., si violent dans le Pays basque espagnol, n’a pas d’équivalent dans la petite région basque française: celle-ci est surtout utilisée comme base de départ pour des entreprises menées par-delà les montagnes, et sert, à l’occasion, d’exutoire à des représailles.

Celtes et Germains

La culture bretonne, dans son originalité, s’appuie sur la partie occidentale de la Bretagne, c’est-à-dire sur la Basse-Bretagne, seule portion de la péninsule où subsistent des dialectes celtiques. Au Ier millénaire avant Jésus-Christ, ceux-ci étaient pratiqués dans une grande partie de l’Europe occidentale; aujourd’hui, ils n’existent plus que dans des «finistères»: Basse-Bretagne, ouest de l’Irlande, pays de Galles, nord-ouest de l’Écosse. On ne sait pas si le celtisme breton a été entièrement réimporté des îles Britanniques aux Ve et VIe siècles de notre ère ou s’il est partiellement l’héritier de couches celtiques qui auraient survécu à la romanisation. Quoi qu’il en soit, la tradition orale bretonne a livré, outre d’admirables poèmes et chansons, des contes populaires dont on trouve par ailleurs des versions dans toute l’Europe. La Bretagne a connu au Moyen Âge des phases d’indépendance et même, au XVe siècle, une certaine puissance, avant d’être englobée dans l’orbite française au XVIe siècle. Au siècle suivant, la célèbre révolte des Bonnets rouges (1675), hostiles aux droits seigneuriaux et à certains impôts, a été plus paysanne que nationaliste. Des tendances proprement autonomistes apparaissent au XVIIIe siècle, à l’Assemblée des états de Bretagne et dans des conspirations nobiliaires. À l’époque de la Révolution française, la résistance bretonne est surtout contre-révolutionnaire: axés sur un catholicisme viscéral, les Bretons s’opposent au gouvernement central, dans la mesure surtout où celui-ci est anticatholique (un phénomène semblable se reproduira à l’époque du «petit père Combes»). Le XIXe siècle breton a connu une sorte de réveil culturel, animé par des nobles érudits, notamment Hersart de La Villemarqué. Quant au véritable autonomisme breton, il ne s’est affirmé qu’au XXe siècle. Entre les deux guerres, non seulement des éléments droitiers, mais aussi des instituteurs communisants (Yann Sohier, par exemple), luttent pour le maintien de la langue bretonne, menacée d’extinction lente (dans le même temps, cependant, la Bretagne, avec l’abbé Mancel et De Guébriant, est aussi l’une des provinces matrices du syndicalisme agricole français). L’autonomisme tourne ensuite au séparatisme. Après 1940, les militants séparatistes se laissent souvent prendre au piège d’une collaboration poussée avec les nazis, car, à leurs yeux, celtisme et germanisme sont – mais pourquoi? – solidaires. Conséquence: à la fin de la guerre, de tragiques règlements de comptes se produisent entre les indépendantistes, qui ont identifié leur cause à celle de l’Allemagne, et les maquis résistants. Après une éclipse d’une quinzaine d’années, l’autonomisme breton réapparaît vers 1960. Ses partisans se situent alors à gauche et à l’extrême gauche. Les plus modérés (Union démocratique bretonne [U.D.B.]) luttent pour l’autodétermination péninsulaire, mais dans l’espace français; dans des cas extrêmes, on pratique un terrorisme spectaculaire qui s’en est pris exclusivement aux biens, jusqu’ici du moins.

En France comme en Belgique, le mouvement flamingant a d’abord été le fait de l’Église catholique, les curés flamands tenant à défendre l’identité ethnique et religieuse de leurs fidèles contre la République francophone et athée. En France, cependant, le mouvement, face à une francisation résolue, et appuyé il est vrai sur une base géographique trop étroite, n’a pu obtenir de résultats substantiels: il n’y a certes pas été aidé par l’attitude pronazie qui fut adoptée pendant la Seconde Guerre mondiale par l’un de ses promoteurs, l’abbé Gantois. De nos jours, par contre, se produit légitimement une certaine renaissance culturelle flamande.

Les avatars de l’autre minorité germanique, les Alsaciens-Lorrains, ont commencé sous le règne de Louis XIV avec la conquête de l’Alsace, c’est-à-dire avec l’annexion de populations entièrement germanophones. À la faveur de la prospérité du XVIIIe siècle, d’abord, puis de la Révolution française (qui élimine le régime seigneurial), les liens affectifs avec l’ensemble français se nouent et se consolident, bien que la culture puissamment alphabétisée des Alsaciens-Lorrains reste foncièrement germanique (exception faite pour la haute bourgeoisie francophone d’Alsace, pour le pays messin et une partie de la Moselle). L’annexion par l’Allemagne, en 1871, traumatise l’Alsace-Lorraine et spécialement les élites, dont une partie émigre vers la France; elles s’y intègrent souvent à la grande bourgeoisie par le biais de la H.S.P. (haute société protestante). Néanmoins, une certaine résignation, voire loyauté, envers l’Allemagne s’installe en Alsace-Lorraine, qui bénéficie des lois sociales issues du paternalisme bismarckien, tandis que l’annexion des deux provinces suscite, dans l’Hexagone amputé d’un angle, certains sentiments revanchards. Après la Première Guerre mondiale, la gauche anticléricale engage une lutte inconsidérée contre les structures concordataires et catholiques des deux provinces recouvrées: dès lors se fortifient, par contrecoup, les tendances autonomistes en Alsace, dont certaines iront jusqu’à faire cause commune avec l’hitlérisme. Mais l’expérience des dures années de guerre, en particulier l’incorporation forcée des jeunes dans la Wehrmacht et leur envoi sur le front russe, a éloigné ensuite, quant aux mentalités, toute perspective d’intégration de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne. Au cours du dernier tiers du siècle, par-delà le problème que pose l’émigration de travailleurs alsaciens-lorrains vers l’Allemagne riche, un puissant rapprochement, en douceur, s’opère sur les deux versants des Vosges: les populations germanophones d’Alsace-Lorraine sont les seules minorités ethniques de France à posséder des journaux quotidiens en langue non française, et, pourtant, les frustrations vis-à-vis de la dominance francophone sont moins vives dans ces deux provinces qu’en Corse ou qu’en Bretagne; depuis les années soixante-dix, elles tendent à se tourner vers la défense de l’écologie.

Occitans, Provençaux, Gascons

La zone occitane forme la plus importante et la plus complexe des entités de tradition spécifiquement latine. À la différence de la moitié septentrionale du pays, elle n’a que peu connu les invasions franques. Cela expliquerait, entre autres raisons, son originalité linguistique: langues d’oc, opposées aux langues d’oïl dans le Nord. De là aussi vient sa romanité persistante, qui s’est traduite notamment par le maintien, jusqu’au haut Moyen Âge, de la civilisation gallo-romaine des villae . Malgré la violence qui a marqué la répression contre les cathares (croisade des albigeois), malgré aussi la rapacité du duc de Berry qui provoqua, vers 1380, le soulèvement des Tuchins, la mainmise «française», aux XIIIe et XIVe siècles, n’a pas été une vraie colonisation; entre autres, il n’y a pas eu de spoliations foncières massives, ce qui fait une différence importante avec, par exemple, la conquête de l’Algérie au XIXe siècle. La francisation des zones d’oc, d’autre part, n’a commencé qu’au XVIe siècle, avec le développement de l’imprimerie. Un phénomène capital pour l’histoire occitane coïncide, au XIVe siècle, avec la papauté d’Avignon: les Occitans l’ont colonisée en masse; pendant des siècles, l’attitude à tenir vis-à-vis de l’Église catholique restera, pour beaucoup d’entre eux, un problème plus essentiel que ne le sera l’ethnicité d’oc. Au XVe siècle commence pour les pays d’oc une longue période d’association à l’État monarchique, matérialisée à partir des années 1420-1440 par des institutions représentatives (états du Languedoc, parlement de Toulouse); cette période, cependant, a été marquée de soulèvements: en 1548 dans les provinces atlantiques et en 1632 dans le Languedoc. Grâce à eux, les régions occitanes ont pu maintenir leur originalité administrative jusqu’à la Révolution française. Du point de vue culturel, il est bien connu que l’originalité occitane s’est affirmée aux XIIe et XIIIe siècles avec la poésie amoureuse des troubadours. En revanche, on sait moins que la production littéraire occitane a continué bien au-delà du Moyen Âge: poésies, œuvres pieuses, romans. Grâce à l’immense prestige acquis par la culture française, cette littérature occitane s’est en fait marginalisée aux XVIIe et XVIIIe siècles: les écrivains «provençaux» ou «gascons» font alors volontiers précéder leurs écrits en «patois» d’une préface en français, qui dénonce, non sans masochisme, le caractère dérisoire du texte «dialectal» qui va suivre. Il n’en reste pas moins que certaines de leurs œuvres soutiennent la comparaison avec celles des auteurs d’oïl: ainsi les romans de l’abbé Fabre, le plus grand romancier occitan, auteur de Jean-l’ont-pris , ou les pièces délicieusement paillardes des dramaturges aixois, de G. Zerbin et de D. A. Brueys entre autres. À partir de 1850, avec Mistral et le Félibrige, une production littéraire de plein exercice va renaître, qui ne s’interrompra plus jusqu’à nos jours. L’occitanisme proprement dit est un phénomène du XXe siècle. Mais il est latent dès le XVIIIe siècle, chez des historiens régionaux comme J.-P. Papon pour la Provence ou D. Devic et J. Vaissette pour le Languedoc; ceux-ci évoquent avec nostalgie le glorieux passé d’indépendance des provinces méridionales; à la fin du XIXe siècle, le Félibrige, qui fut quelquefois teinté de «rouge» sous les auspices de X. de Ricard, s’oriente vers le royalisme et la droite: Charles Maurras, amoureux des libertés urbaines du bas Rhône, sera le fils spirituel de Mistral et le pur produit de la Provence blanche, avant de devenir violemment antisémite et de se compromettre avec Vichy. Après la défaite de 1940, le mouvement provençal bénéficie d’une certaine sympathie de la part du régime de Vichy, en raison surtout des velléités décentralisatrices de ce dernier. Une évolution nouvelle se dessine à partir de 1950 et surtout après 1960, sous l’impulsion de l’Institut d’études occitanes à Toulouse et de Robert Lafont à Nîmes. Le militantisme méridional cesse d’être «provençal» pour devenir résolument «occitan»; il émigre vers l’ouest, vers le pays «cathare», et se fait socialiste, voire gauchiste (Lutte occitane ). En même temps, il se reconnaît dans une sorte de néo-catharisme de cœur dont se réclament des instituteurs, des paysans, des cheminots. Autre trait caractéristique: la volonté de vivre au pays s’exprime dans l’affaire de l’extension du camp militaire du Larzac, et s’oppose aux mobilités de la main-d’œuvre voulues par le libéralisme économique. Au total, cependant, l’Occitanie n’est pas une, elle est multiple: il n’y a pas un, mais des accents méridionaux; il n’y a pas non plus un tempérament méridional unique: que l’on songe au contraste entre protestants introvertis des Cévennes et personnalités baroques de la région de Carcassonne. La langue même est loin d’être uniforme: les dialectes gascons diffèrent sensiblement de l’occitan proprement dit. En fin de compte, c’est la communauté historique de destin à l’intérieur de l’Hexagone qui soude Occitans proprement dits et Gascons, et qui fait de leurs régions ce qu’on a baptisé traditionnellement Midi de la France, aujourd’hui appelé par certains «Occitanie».

Encyclopédie Universelle. 2012.

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